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« Qu’est-ce qu’une colonne torse ? C’est une colonne qui affecte de nier sa raison d’être, qui est de soutenir une architecture. Elle fait semblant de ne pas lutter contre la pesanteur, tourne sans tourner et nous murmure : je ne suis pas ce que je suis, mais je sais que vous le savez ! Si j’étais ce que je suis (une colonne), je ne serais pas ce que je suis (torse). Les premières colonnes torses ne sont même pas vraies : elles ne sont que peintes, sur les trompe-l’œil de Véronèse, à la Villa Maser. » Philippe Beaussant, Passages - de la Renaissance au Baroque.

Les formes instables que je crée peinent à « être » mais s’y efforcent avec courage, comme dans cette vidéo, où l’argile passe du tas de terre étalé au sol à la colonne, tentant ainsi un passage de l’informe à la forme. Il semble presque  douloureux mais la matière est déterminée ! On sent son effort pour s’ériger contre la réalité de son être à rester cloué au sol.

« Je ne  peins pas l’estre, je peins le passage »* disait Montaigne, comme aime à le rappeler Philippe Beaussant, et il ajoute :
« Mais si, naïfs, nous demandons : le passage de quoi à quoi ? Entre quoi et quoi ? Il répond en souriant : « le passage tout simplement… »
Le passage en soi, comme dira plus tard celui qui a cru qu’on pouvait parler, tout de go, de l’Être et du Néant. Le Passage tout court, c’est-à-dire réduit à l’acte de passer, au mouvement qui mène d’on ne sait quoi vers on ne sait quoi, qui fait qu’on change, qu’on se transforme, qu’on évolue, comme on aime à dire de nos jours en oubliant que ce mot signifie tourner sur soi-même, semblable à une colonne torse qui ne sait pas pourquoi elle tourne. […] Je peins, dit Montaigne, ce qui se passe : ce qui n’est déjà plus ce que c’était sans avoir eu le temps de l’être, déjà plus être et pas encore. Je peins ce qui se meut, ce qui s’écoule, ce qui file, glisse et s’échappe, comme un ruisseau qui un instant perd le sens de son flux et, distrait par deux rochers, tourbillonne sans savoir, lui non plus, pourquoi il tourne. »